Le ministre de l’Economie s’en prend à la somme de Thomas Piketty en 332 mots et une équation.
Par Sophie Garrot, libération 1er Avril 2015
L’ancien jeune rocardien pointe plusieurs erreurs dans le raisonnement de Piketty. Premièrement il souligne que l’idée d’une augmentation indéfinie et exponentielle des inégalités est absurde : « les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel, tout ce qui monte finit bien par descendre ». Il en veut pour preuve que les inégalités n’ont jusqu’ici pas augmenté indéfiniment, et donc qu’il n’y a aucune raison que cela arrive dans le futur. Ce serait faire preuve d’un pessimisme exagéré alors que « les jeunes français de tous les horizons ont tellement de ressources ». Il ajoute que l’économie n’est pas un long fleuve tranquille, « la roue tourne ».
Pour le Ministre des Finances et des Comptes Publics, Thomas Piketty a tout faux sur l’évolution du capital car son augmentation est en grande partie due au logement. Or, il faut bien se loger ! De fait, Michel Sapin reprend l’argument de quatre économistes spécialistes du sujet : comme il faut se loger, il est nécessaire de diviser le prix du logement par lui-même, de sorte que « le prix réel du logement est toujours égal à 1 » (car KL/KL=1). En utilisant cette formule, on trouve que la valeur du capital a très peu augmenté. En l’étendant à l’ensemble du capital, on trouve même une étonnante stabilité du capital au cours du XXème siècle (autour de 1 plus ou moins les erreurs de mesure).
Enfin, Michel Sapin ne croit pas à la théorie de la substitution du travail par des robots. Pour l’ancien Ministre du Travail, c’est de la « complète science-fiction ». En effet, on aura toujours besoin de bons employés de maison. L’ancien Conseiller général de l’Indre souligne que « l’économie domestique est un énorme gisement d’emploi » et rappelle qu’au XIXe siècle, une famille bourgeoise faisait vivre jusqu’à 5 domestiques. C’est bien la preuve que la thèse de Piketty est erronée.
Un grand respect pour notre ministre de l’économie qui produit une analyse fabuleuse pour contredire Picketty.
Les deux arguments utilisés sont d’une profondeur extrême : les inégalités ne vont pas progresser parce que rien n’est infini, un jour les choses s’arrêtent. Bref, il suffit d’attendre puisqu’après la pluie vient le beau temps. Donc la démonstration de Picketty concernant la détérioration de la situation n’a pas de sens.
Une telle analyse est édifiante. Si on l’applique au chômage, on pourrait dire qu’un jour il va cesser d’augmenter. Si l’économie se résume à attendre et à laisser faire parce que les choses ne peuvent pas durer éternellement, alors elle ne sert à rien. Ce type d’argument n’a aucun intérêt.
Deuxième argument utilisé : la substitution du capital au travail n’existe pas. On aura toujours besoin de bons employés ! Là encore, grosse pensée et analyse. On le constate d’ailleurs fort bien avec la disparition des caissiers remplacés par des distributeurs automatiques, la disparition des pompistes, et demain celles des caissier(e)s dans les supermarchés. la délocalisation de toutes les industries de main d’oeuvre témoignent de l’analyse brillante de notre ministre.
Enfin le fait qu’on a besoin de se loger donc le patrimoine immobilier ne peut entrer dans le calcul de l’augmentation du patrimoine et donc des inégalités, relève aussi de l ‘analyse fine.
Bref, on peut ne pas être d’accord avec l’analyse de Thomas Picketty et le débat mérite d’être ouvert, mais il faut pour cela avoir de vrais arguments et non des poncifs.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’il s’agit d’un poisson d’avril sinon cela montrerait le niveau de compétence en matière d’analyse économique de notre ministre.
Shukuru