L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), réunie à Vienne vendredi 5 juin, a confirmé sa politique, fixée fin novembre 2014 : le maintien de son quota officiel de production de 30 millions de barils par jour, malgré une surproduction mondiale de plus de deux millions de barils et la déprime des prix de l’or noir sur le marché, tombés à 62 dollars pour un baril de brent (contre 115 dollars en juin 2014).
Chaque pays joue sa partie. La production américaine de brut, notamment grâce aux schistes (shale oil), résiste à ces prix bas. La Russie refuse de réduire sa production et de grands producteurs affichent leurs ambitions (Iran, Irak, Brésil…). La bataille mondiale sur le marché pétrolier « ne fait que commencer », prévient l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Ce sont encore les Saoudiens qui donneront le « la », vendredi, à Vienne. « L’éventualité d’un changement de politique est faible, voire inexistante, prévient Bhushan Bahree, expert au sein du cabinet américain IHS Energy. L’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe semblent résolus à poursuivre la politique décidée en novembre. De potentiels dissidents se rendent compte qu’un changement n’est pas jouable alors que les quatre Etats du Golfe qui défendent leurs parts de marché pèsent plus de la moitié de la production de l’OPEP. »
De plus, ajoute-t-il, on ne voit « aucun signe de la volonté de l’Arabie saoudite, de l’Irak et de l’Iran d’essayer de trouver un terrain d’entente pour partager le gâteau, condition nécessaire, mais pas suffisante à une relance du système des quotas de production ».
Pourtant, Riyad n’a pas gagné la guerre du pétrole de schiste. De nombreux puits ont fermé aux Etats-Unis, mais la production de shale oil a été encore peu affectée, les plates-formes de forage en exploitation ayant de meilleurs rendements.
Avec 9,5 millions de barils de brut (dont la moitié d’huiles non conventionnelles), jamais la production américaine n’a été aussi dynamique, et elle progressera jusqu’à près de 11 millions en 2020 avant de se stabiliser, selon un scénario gouvernemental.
L’OPEP commence à en prendre acte. « Le pétrole de schiste est un phénomène qui ne va pas disparaître et nous devons vivre ensemble et trouver un équilibre », a reconnu Abdallah Al-Badri, secrétaire général du cartel. Une analyse partagée par le ministre du pétrole des Emirats arabes unis, Suhail Mohamed Al-Mazroui, qui a appelé tous les pays producteurs, OPEP et non OPEP, à « partager la responsabilité de rééquilibrer le marché ».
Désormais, le quota de 30 millions de barils par jour – un tiers de la production mondiale – fixé par l’OPEP fin 2011 est dépassé. En avril et mai, la production a dépassé 31 millions de barils. La production saoudienne n’a jamais été aussi importante, et Riyad a suggéré que les douze membres du cartel ne se réunissent plus qu’une fois par an (au lieu de deux). Une proposition interprétée comme la confirmation de la volonté de la monarchie wahhabite de faire jouer les forces du marché et d’en finir avec son rôle historique de producteur d’appoint en cas de forte baisse (ou hausse) des prix.
L’Arabie saoudite et ses alliés du golfe Arabo-Persique (Koweït, Emirats arabes unis et Qatar) restent sourds aux appels d’autres membres en faveur de mesures de redressement. Ces pays commencent à en souffrir, et même les plus riches réclament désormais un prix « raisonnable » qu’ils situent à 75-80 dollars pour équilibrer leurs finances publiques. D’autres, comme le Venezuela au bord de la cessation de paiement, essayent de s’entendre avec de grands pays producteurs non OPEP (Russie, Mexique…) pour faire remonter les prix. Sans succès jusqu’à présent.
Le monde de l’or noir s’est « décartellisé ». Dans ce grand jeu du chacun pour soi, tout le monde produit au maximum, à commencer par les trois pays qui font un tiers de la production mondiale : les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie. L’Irak veut, à moyen terme, doubler sa production de quelque 4 millions de barils. Quant à l’Iran, il affiche déjà de grandes ambitions alors qu’un accord avec les Occidentaux fin juin sur son programme nucléaire – et donc une levée des sanctions – est loin d’être acquis.
Plus personne, au sein de l’OPEP, ne croit à une remontée du baril à 100-110 dollars. Et son évolution, dans les mois à venir, reste incertaine. Les cours devraient rester autour de 60-65 dollars quelques mois, la demande étant tirée par la driving season aux Etats-Unis, où les Américains se déplacent beaucoup. Mais, pour Hasan Qabazard, responsable des études de l’OPEP entre 2006 et 2013, ils pourraient tomber entre 40 et 50 dollars au quatrième trimestre en raison d’une forte baisse de la demande.
Créée en 1960, à Bagdad, pour défendre les intérêts des pays producteurs face aux grandes compagnies, l’OPEP n’a plus le poids d’antan. Dans les années 2000, elle a renoncé à fixer un objectif ou une fourchette de prix. En 2011, elle a abandonné le système de quotas pays par pays, chaque membre pompant ce que ses infrastructures et sa situation géopolitique lui permettent de produire. Et, fin 2014, Riyad et les pétromonarchies du Golfe ont décidé de ne plus « faire » les prix à leur détriment, mais de laisser jouer le marché, quitte à produire plus que le quota officiel. « Nous ne pouvons plus continuer à protéger un certain niveau des prix », constatait M. Mazroui, à la veille de la réunion de l’OPEP.
Est-ce la mort de l’OPEP ? « Elle compte encore, nuance Jamie Webster, un autre expert d’IHS Energy. Elle est aujourd’hui en hibernation et son rôle a changé, mais elle reste une puissante force si elle décide d’agir, même si nous ne l’envisageons pas pour le moment. » Il estime que le transfert de l’Arabie saoudite aux Etats-Unis du rôle de producteur d’appoint n’est pas un mouvement très net et qu’il peut évoluer, les données géopolitiques, notamment au Moyen-Orient, restant importantes pour le marché du pétrole.
LE MONDE ECONOMIE | 05.06.2015 à 06h39 • Mis à jour le 05.06.2015 à 16h22 | Par Jean-Michel Bezat