Dans une interview à la télévision américaine, le patron d’Apple a assuré que si son entreprise produit ses smartphones en Chine, ce n’est pas pour faire des économies. La stricte vérité? Oui et non. Explications.
Casser les idées reçues. Voilà la mission que s’est assigné Tim Cook. Invité dans l’émission américaine 60 Minutes, le patron d’Apple a d’abord fustigé les politiques qui accusent sa compagnie de faire de l’exil fiscal. “Des foutaises” selon lui. Le journaliste Charlie Rose l’a ensuite interrogé sur les raisons qui poussent Apple à faire produire ses appareils, et notamment ses iPhone, en Chine.
Et là encore, la réponse de Tim Cook surprend: “À cause des compétences.” De quoi laisser perplexe Charlie Rose. “[Les Chinois] sont plus compétents que les travailleurs américains? Que les travailleurs allemands?” lui demande le journaliste. “Oui” lui répond en substance Tim Cook qui semble déplorer le fait que l’industrie n’attire plus les Américains.
“Les États-Unis ont cessé au fil du temps d’avoir ce type de compétences professionnelles, assure le patron de l’entreprise la plus rentable de tous les temps. Par exemple, vous pouvez prendre tous les outilleurs-ajusteurs des États-Unis, ils pourraient tenir dans ce studio. En Chine, il vous faudrait certainement plusieurs terrains de football.” Pour Tim Cook, c’est la tertiarisation de nos économies qui l’obligerait à aller faire produire ailleurs.
La Chine c’est 99% de la production de montres
L’argument tient-il la route? Il est repris en tout cas par bon nombre d’industriels. Et pour tout type de biens de consommation durable. “Je suis allé à Shenzhen car c’est là-bas qu’on trouve les compétences et les prestataires, explique Guillaume Laidet, le créateur de l.a jeune marque de montre William La Chine c’est aujourd’hui 99% de la production mondiale. Pas une montre en dessous de 350 euros n’est pas fabriquée en Chine.”
Dans d’autres secteurs d’activité, comme le textile, le phénomène est encore plus flagrant. Le Coq Sportif a tenté de rapatrier une partie de sa production de chaussures de sport à Romans en France mais a dû se résoudre à n’en produire qu’une poignée devant le manque de capacité de production et de main d’œuvre qualifiée. On peut certes retourner l’argument. Si les industriels n’avaient pas délocalisé en masse leur production ces trente dernières années, les économies occidentales auraient-elles perdu leurs compétences industrielles? L’éternel débat de l’œuf et de la poule…
À vrai dire, l’argument de Tim Cook ne tient que partiellement la route. Le coût du travail est en effet un élément essentiel dans la stratégie d’Apple. Par exemple, il faut savoir que lorsque ce coût augmente chez un sous-traitant chinois, la firme américaine n’hésite pas à aller chercher ailleurs des offres plus compétitives. Ainsi, selon l’ONG China Labor Watch, Apple privilégie de plus en plus le sous-traitant Pegatron au détriment de Foxconn car il serait 8% moins coûteux. Un avantage que l’ONG estime à 61 millions de dollars sur une année.
Un iPhone “Made in America”, coûterait 4 $ de plus…
Dans ce contexte, Apple pourrait-il se permettre de produire son téléphone star ailleurs qu’en Chine? Sans doute pas. Il devrait soit rogner une part très importante de ses marges soit gonfler ses prix à des niveaux qui pourraient contrarier ses ventes.
Selon le cabinet IHS, le coût de la main d’oeuvre représenterait aux alentours de 8 dollars dans le prix de l’iPhone. Or toujours selon le cabinet, Motorola aurait accepté un surcoût de 4 dollars par appareil en rapatriant une partie de sa production aux États-Unis en 2013. Cela porterait à 12 dollars par exemplaire le fait de produire les iPhone outre-Atlantique. Un coût a priori supportable (à condition d’avoir les infrastructures et la main d’œuvre suffisantes pour produire les 230 millions d’appareils annuels).
… mais générerait 26 $ d’impôts supplémentaires
Mais ce qui gonflerait bien davantage la note, c’est la fiscalité. Apple n’est taxé par l’administration américaine qu’à hauteur de 2% de ses profits réalisés à l’étranger. Or ce taux passerait à 35% si la firme produisait localement pour son marché domestique (moins certaines déductions comme les dépenses en R&D). Selon un calcul de Forbes, un tiers des bénéfices d’Apple sont réalisés à l’étranger, soit 18 milliards pour l’année fiscale qui vient de s’écouler. Si on applique le nouveau taux d’imposition de 35% (moins 2% qu’Apple pourrait déduire de ses profits réalisés à l’étranger), la facture fiscale totale attendrait 5,9 milliards de dollars.
Les 4 dollars supplémentaires par iPhone pour la main d’oeuvre reviendraient eux à près d’un milliard de dollars par an. Cela porte le surcoût total à près de 7 milliards de dollars, soit 30 dollars par iPhone. Mais Apple ne serait pas obligé de réduire ses marges pour autant. Elle pourrait aussi augmenter ses prix en mettant en avant des produits désormais “made in America”. L’iPhone 6S de 16Go coûterait alors 776 euros. Tentant? Au moment où elle pourrait voir ses ventes baisser pour la première fois en 2016, la marque n’est sans doute pas prête à prendre ce risque.