Tout d’abord, rappelons que la privatisation du rail avait été préparée dans les années 1980, sous Thatcher, avec l’éclatement de l’unicité du British Rail en entités autonomes par secteurs géographiques (Network SouthEast) ou secteur d’activité (fret).
En application de la directive européenne 91/440, la Grande-Bretagne divise en 1993 gestion du réseau confiée à RailTrack, et exploitants mis en concurrence, à l’origine une vingtaine d’entités publiques sectorisées.
En 1996, avant les élections législatives, le Parti conservateur privatise l’ensemble des opérateurs, gestionnaires du réseau, fret comme exploitants voyageurs.
Vingt ans après, le bilan de la libéralisation-privatisation du rail est édifiant, un véritable « pillage » des usagers et des fonds publics, siphonnés par une poignée de monopoles privés. Reprenons l’argumentaire des privatiseurs, point par point :
- Les tarifs les plus élevés au monde : l’argument de la « baisse des tarifs » ne tient pas en Grande-Bretagne. Les tarifs du rail sont désormais, en moyenne, deux fois plus élevés qu’en France, dans le secteur nationalisé. Depuis 1996, l’augmentation des tarifs du train a été trois fois supérieure à celle de l’augmentation moyenne des salaires. La Grande-Bretagne dispose des tarifs les plus élevés du monde : une conséquence de la privatisation ;
- Des trains qui arrivent de moins en moins à l’heure : les trains qui n’arrivent pas à l’heure, c’est aussi cela l’efficacité du privé. Un train sur six circule avec plus de 10 minutes en Grande-Bretagne (15%), contre un train sur dix en France (10%). La faute est rejetée sur « Network Rail », le gestionnaire du réseau, condamné ainsi à une amende de 90 millions d’euros la semaine dernière ;
- Un matériel roulant de plus en plus vieux: la modernisation conséquence de la privatisation, rien n’est plus faux. Depuis la privatisation, l’âge moyen du matériel roulant a augmenté, il était de 16 ans en 1996, il est de 18 ans aujourd’hui. L’investissement dans le renouvellement du matériel roulant a chuté de moitié entre 1993 et 2013 ;
- Un système excessivement coûteux: comme pour la Santé ou l’Education, contrairement aux idées reçues, le rail public coûte excessivement moins cher que le rail privé. Déjà le rapport McNulty publié en 2011 rappelait que les coûts du système fragmenté britannique étaient 40% supérieurs à ceux du système nationalisé français ;
- L’ouverture à la concurrence … c’est la domination des monopoles étrangers !: dans un secteur où un seul réseau existe, la « libre concurrence » est encore plus qu’ailleurs un leurre. De fait, le système privatisé britannique a conduit rapidement à l’émergence de monopoles nationaux, comme le britannique FirstGroup qui contrôle 7 des 23 « opérateurs privés » et surtout à la main basse des grands monopoles européens : l’Allemand Deutsche Bahn, l’Hollandais NS et enfin la SNCF (via Keolis) ont pris possession de 11 des 23 opérateurs du chemin de fer britannique. Quatre entreprises contrôlent donc 80% du rail britannique !
- Des investissements publics et une dette publique !: la privatisation n’a pas conduit à la baisse des investissements publics mais au contraire à leur augmentation : 6 milliards d’euros de subventions par an pour financer les projets d’infrastructures, c’est deux fois plus qu’avant la privatisation. Ces projets d’infrastructures plombent les comptes du « Network Rail », le gestionnaire public accumule désormais une dette de 40 milliards d’euros ;
- Mais des profits privés !: la seule Deutsche Bahn a réalisé 1 milliard d’euros de profit sur le réseau anglais. Les opérateurs privés bénéficient des investissements publics dans le réseau puisque 90% des profits sont ensuite directement reversés aux actionnaires. En outre, le gestionnaire public du réseau, malgré son endettement, continue à pratiquer des tarifs préférentiels pour l’usage du réseau : les droits de péage ont baissé de moitié depuis dix ans ;
Un désastre qui a coûté la vie à plusieurs centaines d’usagers et de travailleurs britanniques, il suffit de se rappeler de la catastrophe de Landgrove-Broke qui a coûté la vie à 31 usagers et blessé 500 autres : les opérateurs privés ne voulaient pas à l’époque investir dans des dispositifs de sécurité.
Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
A la lecture de cet article, on se demande, hormis la volonté farouche de libéraliser tous les services, a quoi peut servir cette mise en concurrence.
Nous sommes dans l’idéologie pure : la concurrence est bénéfique pour tous (entreprises, consommateurs, états) quels que soient les résultats obtenus, il est préférable de développer la concurrence.
Ces expériences montrent que les services publics qui subissent une forte dérégulation se détériorent fortement. Le chemin de fer britannique n’était probablement pas très performant, mais désormais, nous pouvons être certain qu’il va disparaître, ou devenir le moyen de locomotion pour les plus pauvres qui n’auront pas d’alternative.
Souhaite-t-on réellement que le rail français devienne aussi “performant” que son homologue britannique ?
Shukuru