La récente victoire travailliste au Royaume-Uni a été attribuée à la bonne santé économique du pays. Pour certains observateurs, cette santé vient notamment du refus de l’euro. Et d’aucuns de s’interroger sur la pertinence de l’Union économique et monétaire (UEM). Ce questionnement prend parfois un tour paradoxal. En effet, les critiques les plus virulentes de l’UEM se réfèrent en général à la notion de zone monétaire optimale. Or son inventeur, Robert Mundell, est un défenseur résolu de l’UEM.
Il naît le 24 octobre 1932 à Kingston, au Canada. Après des études à Vancouver, il rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, où il obtient son doctorat d’économie (PhD) en 1956. Il commence alors une double carrière d’enseignant et de chercheur. De 1961 à 1966, il travaille au Fonds monétaire international (FMI) avant d’être nommé professeur à Chicago de 1966 à 1971, puis à l’université Columbia à New York de 1974 à sa retraite. C’est pendant son passage au FMI qu’il formule plusieurs théories devenues des références. Son nom est attaché à quatre éléments théoriques majeurs.
Le premier est le modèle Mundell-Fleming, John Fleming étant un enseignant qui mène, parallèlement à Robert Mundell, des recherches sur la politique économique. Au début des années 1960, la théorie dominante est le keynésianisme, qui fait de la gestion de la demande par la dépense publique et le déficit budgétaire, l’outil au service du plein-emploi. Ce keynésianisme trouve son expression courante dans le modèle IS/LM, qui présente deux fragilités. Il repose sur une hypothèse de rigidité absolue des prix et n’est valable que pour une économie fermée. Conservant l’idée de prix stables, le modèle Mundell-Fleming adapte IS/LM au cas d’une économie ouverte. Il conclut que l’efficacité de la politique budgétaire dépend du système de changes. En cas de changes fixes comme dans le système de Bretton Woods, la politique budgétaire est efficace. En revanche, dans un système de changes flottants, comme celui dans lequel nous vivons depuis 1973, ce n’est plus le cas. En effet, en empruntant pour financer son déficit, l’Etat fait monter les taux d’intérêt, ce qui attire les capitaux étrangers. Résultat : la monnaie nationale est de plus en plus demandée et sa parité s’apprécie. Cette appréciation se traduit par une perte de compétitivité et une baisse des exportations. Il se produit ce que les économistes appellent un effet d’éviction : plus de demande publique conduit à moins de demande extérieure et, en fin de compte, à une stagnation de la demande globale.
Mundell complète ce modèle par l’analyse de la politique monétaire dans un cadre de libre circulation des capitaux : si la banque centrale souhaite que sa devise garde une parité fixe par rapport au dollar, par exemple, elle doit avoir les mêmes taux d’intérêt que ceux de la banque centrale américaine. Elle perd sa capacité de fixer ses taux d’intérêt, donc l’autonomie de sa politique monétaire interne. Si elle veut la conserver, elle doit renoncer au change fixe et laisser flotter sa devise pour s’isoler des autres banques centrales grâce à l’écran du marché des changes. En économie ouverte, il y a incompatibilité entre libre gestion de la politique monétaire et maintien d’un système de changes fixes. C’est le théorème des incompatibilités de Mundell. M. Mundell agrège les deux résultats précédents en expliquant qu’en cas de changes fixes, l’acteur économique important est l’Etat au travers de sa politique budgétaire, tandis qu’en cas de changes flottants, c’est à la banque centrale d’assurer la régulation conjoncturelle.
En 1961, Robert Mundell formule une troisième théorie, celle de la zone monétaire optimale. Puisque des pays en changes fixes ont nécessairement la même politique monétaire, pourquoi n’auraient-ils pas une seule et même banque centrale ? Favorable aux changes fixes comme élément de stabilité, M. Mundell défend le principe d’une monnaie mondiale unique, rappelant à ceux qui doutent de sa faisabilité que cette situation a déjà existé, entre 1871 et 1914, quand l’or était la monnaie de tous. Si l’or n’a pas survécu, c’est en raison de sa rareté relative, mais aussi parce qu’une zone monétaire n’est optimale, c’est-à-dire durable, qu’à trois conditions : d’abord que les économies de la zone ne connaissent pas de chocs asymétriques, c’est-à-dire une rupture de leurs conditions de production, comme en cas de guerre ; que les facteurs de production (le capital et le travail) circulent sans entrave dans la zone ; que la zone ignore l’inflation.
Le dernier apport de Mundell concerne l’inflation. Bien que sensible aux thèses des monétaristes, il a une approche de l’inflation moins négative qu’eux. Néfaste à long terme, l’inflation peut avoir un effet de court terme positif. En effet, en cas d’inflation, les firmes accumulent les stocks, et donc produisent, car elles savent que le prix de ces stocks va monter. Cette influence de l’inflation sur les gestions de trésorerie s’appelle l’effet Mundell-Tobin.
Plutôt en retrait depuis le milieu des années 1970, Robert Mundell a obtenu le prix Nobel d’économie en 1999.
Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP-EAP.
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