Cédric Hugrée, sociologue, chargé de recherche CNRS, membre de l’équipe “Cultures et sociétés urbaines” (CSU) du Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris (Cresppa) – CNRS/Université Paris 8, a actualisé les tables de mobilité avec les données des enquêtes emploi 2010 à 2014
Tables de mobilité 2010 – 2014
Ces tableaux statistiques confortent, avec quelques nuances, des résultats déjà mis en évidence à partir de données plus anciennes : les catégories «agriculteurs», «cadres et professions intellectuelles supérieures» et «ouvriers» sont relativement immobiles, tandis que les catégories «employés» et «professions intermédiaires» sont plus mobiles en termes de destinée et de recrutement ; les trajets de mobilité «courts» (vers des catégories socialement proches) sont plus fréquents que les trajets «longs» ; une large part de la mobilité totale observée s’explique par la mobilité dite structurelle entre les deux générations résultant des évolutions de la structure de la population active au cours du temps (différence entre les marges des deux tableaux). Si l’on fait abstraction de la mobilité structurelle, il apparait que l’hérédité sociale reste assez forte aux extrémités de la hiérarchie sociale.
Ces tableaux agrégés sont utiles pour travailler la lecture des tables de mobilité en classe et fournir une première approche empirique de cette question. Cependant, leur interprétation est parfois délicate et leur intérêt pour la connaissance de la mobilité sociale reste limité, notamment en raison de leur échelle d’observation :
– La signification sociale du passage d’un groupe à un autre n’est pas toujours déterminée, car les PCS ne sont pas entièrement hiérarchisées sur une échelle verticale. Ainsi, le passage de la catégorie ouvrier à celle d’employé doit-il être interprété comme une relative ascension sociale ou une mobilité horizontale ? Comment comprendre les déplacements entre les groupes d’indépendants et les groupes majoritairement salariés ? Comment situer la catégorie «artisans, commerçants, chefs d’entreprise», très hétérogène, dans la hiérarchie sociale ?
– Les tables de mobilité agrégées tendent à surestimer l’immobilité sociale du fait de leur échelle de construction. Elles ne permettent pas de saisir certaines formes de mobilité à l’intérieur des catégories agrégées, telles que le passage de la catégorie ouvrier non qualifié à celle d’ouvrier qualifié, ou de contremaître à technicien au sein des professions intermédiaires, les changements de statuts ou de secteur d’activité. Or les «petits» déplacements, qu’ils soient verticaux ou horizontaux, sont statistiquement beaucoup plus fréquents que les grands déplacements entre des catégories socialement éloignées, comme l’a souligné Bernard Lahire dans La culture des individus. Invisibles dans l’approche sociologique surplombante des tables de mobilités, ils peuvent être perçus comme de la mobilité sociale ou professionnelle si l’on se place du point de vue de l’expérience sociale des individus.
– Plus généralement, la «mobilité objective» appréhendée à partir des statistiques peut difficilement être confrontée à la «mobilité subjective» ressentie par les individus, dont les échelles d’observation sont très variables et qui est sensible à la fois aux trajectoires individuelles et familiales et à l’évolution du statut et des conditions de vie attachés aux catégories professionnelles.
Article de référence : Cédric Hugrée, “Les sciences sociales face à la mobilité sociale. Les enjeux d’une démesure statistique des déplacements sociaux entre générations”, Politix 2016/2 (n°114), p.47-72.
http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/la-mobilite-intergenerationnelle-des-actifs-au-debut-des-annees-2010