« Je n’ai pas d’enfant, cela permet d’arrondir les fins de mois, et l’état d’esprit du personnel et de la clientèle est très familial et plus détendu le dimanche. » Alix Vossieg, 29 ans, employée depuis quatre ans dans le service des relations à la clientèle aux Galeries Lafayette du boulevard Haussmann à Paris, travaillera ce dimanche 8 janvier, le premier du nouveau dispositif d’ouverture dominicale.
Classé dans le périmètre d’une zone touristique internationale (ZTI), le magasin d’Haussmann ouvrira tous les dimanches dans l’année, là où auparavant il utilisait le dispositif dérogatoire des dimanches du maire pour des opérations spéciales en décembre pour Noël, pendant les soldes… En 2017, Alix Vossieg travaillera huit dimanches dans l’année, comme en 2016.
Avec ces 52 jours d’ouverture supplémentaires, la direction anticipe de 5 % à 10 % de chiffre d’affaires annuel en plus (le surplus avoisine désormais les 10 % au BHV Marais depuis son ouverture le dimanche en juillet 2016).
Malgré les critiques des syndicats, qui mettent en garde contre la pression exercée sur les salariés et s’inquiètent d’une plus grande précarité et d’une possible stagnation des salaires, 92 % des salariés des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann se sont inscrits pour travailler le dimanche. Et 62 % se sont portés volontaires pour huit dimanches en 2017, le maximum autorisé dans l’accord signé entre les syndicats et la direction, qui concerne uniquement le magasin d’Haussmann.
Motivations diverses
Obtenu à l’arraché en mai 2016, cet accord prévoit trois formes de compensations au choix du salarié : se faire payer double la journée et prendre un jour de repos en plus, être payé normalement et prendre deux jours de récupération, soit ne pas être payé et récupérer trois jours (dont un à poser dans le mois qui précède ou qui suit). Ce dispositif ne concerne pas les démonstrateurs employés par les marques dotées de leur espace de vente dans le grand magasin, et qui relèvent de leur propre accord sur le travail du dimanche.
Pour les employés du grand magasin du boulevard Haussmann, les motivations à travailler le dimanche sont diverses. Pour certains, la question financière passe au premier plan. Comme Aurélie Du, 26 ans, en couple, et conseillère de vente au rayon des marques créateurs depuis deux ans, qui a choisi « des sous en plus pour pouvoir épargner ». Elle n’a pas hésité longtemps : « Mon compagnon, employé dans le service public, est lui aussi amené à travailler certains week-ends. »
D’autres y trouvent un surcroît de temps libre. Comme Weronika Wodja, du rayon accessoires. Employée depuis sept ans dans le magasin du boulevard Haussmann, cette trentenaire s’est inscrite pour travailler huit dimanches en 2017 afin d’« avoir du temps, avec mon mari qui a des horaires plus souples puisqu’il a sa propre société ». Ou comme Francine Hajman, 58 ans, conseillère de vente dans les marques propres pour enfant, qui travaillera cinq dimanches en 2017, « pour la récup’ ».
Davantage de temps libre
Elle pourra ainsi partir pour « des petites vacances » avec son compagnon, qui est en préretraite. « Avec un dimanche travaillé en janvier et un autre en février, je peux poser en récupération la troisième semaine de février pendant les vacances scolaires. Et ainsi profiter de mon premier petit-fils qui vient de naître », confie-t-elle. Ana Paula Denoyes, 34 ans et maman d’un enfant de 15 mois, était même volontaire pour en travailler huit, mais n’en a obtenu que sept (dont six de son choix), et ainsi « rester plus longtemps avec ma famille. Le dimanche, c’est le papa qui fera office de nounou. Et lors de mes jours de repos, je ne mettrai pas ma fille à la crèche. »
En renfort aux Galeries Lafayette Haussmann, une nouvelle catégorie de personnel a été recrutée : les travailleurs sous contrat de fin de semaine. Déjà près de 400 personnes embauchées sur un objectif de 500 (1 000 recrutements sont prévus avec ceux effectués par les marques). Des embauches en CDI qui travailleront à l’année mais uniquement trois jours en fin de semaine (samedi-dimanche-lundi ou vendredi-samedi-dimanche), soit 25 heures payé 32. Beaucoup sont étudiants, jeunes, et à la recherche d’un supplément d’argent de poche. C’est le cas de Marie Wang, jeune recrue de 21 ans.
Cette étudiante a commencé à travailler le 16 décembre 2016. Jusqu’alors, elle officiait, déjà en fin de semaine, dans une boutique du cinéma MK2 du 13e arrondissement de Paris. En licence de mandarin à l’université Paris-Diderot le reste de la semaine, elle avoue utiliser cet emploi de fin de semaine « pour parfaire ma pratique du chinois car il y a plus de touristes ici qu’au MK2. Et puis cela me permet de payer mes études, et d’économiser pour un futur logement, le permis, ou des vacances… ».
30 % sont d’anciens renforts saisonniers
Mais il n’y a pas que des étudiants. Certains ont 40 ou 50 ans et près de 30 % sont d’anciens renforts saisonniers. « J’ai retrouvé des vendeurs que je connaissais lorsque je m’occupais des accessoires », raconte Julien Carpentier, qui encadre deux managers et douze vendeurs des marques propres pour enfant. Jeune maman de deux enfants en bas âge, Kamola Usmanova, 26 ans, embauchée depuis le 13 novembre 2016 comme conseillère de clientèle à la conciergerie, cherchait quant à elle « un petit contrat » pour pouvoir s’occuper de son bébé durant la semaine. Et qui lui permet de remettre un pied dans le monde du travail.
Ces renforts ont été répartis dans les différents étages du magasin pour combler les « trous » dans les plannings. Car dès le mois de novembre 2016, les employés des Galeries Lafayette ont formulé leurs demandes et leurs préférences de dates. « Certains souhaitaient huit dimanches, d’autres deux, chacun a fait ses choix », indique Julien Carpentier. Quant à lui, en tant que manager référent, il se « devait de montrer l’exemple par rapport à ses équipes », mais n’en fera que cinq « par choix personnel de vie privée ». Et suivant les pics de présence, ils occuperont des postes sur un périmètre un peu plus large mais semblable à leur travail d’origine. D’autant qu’ils ne sont pas très nombreux à s’être portés volontaires pour travailler les mois d’été ou pendant les vacances. « Je n’ai pas pris les dimanches d’été car je veux profiter de mon jardin », explique Francine Hajman.
Quoi qu’il en soit, ils ne seront bientôt plus seuls à venir travailler le dimanche sur le boulevard Haussmann. Le Printemps, qui a conclu le 30 décembre 2016 avec ses syndicats l’accord sur les compensations salariales indispensables à son ouverture dominicale, devrait les rejoindre d’ici à la fin du premier semestre.
LE MONDE ECONOMIE | Par Cécile Prudhomme
Le monde du travail évolue; Les magasins demandent depuis plusieurs années un assouplissement de la réglementation de l’ouverture du dimanche. Le gouvernement a accédé à leur requête. Les salariés du magasin justifient leur acceptation :
- “pas d’enfant cela me permet d’arrondir mes fins de mois”. Jusqu’à présent le dimanche était chômé pour permettre la vie familiale. Désormais, celle-ci n’est plus privilégié. Le dimanche non travaillé ne représente-t-il un intérêt que lorsqu’on a des enfants ? C’est une vision restrictive de la vie privée, des loisirs … Par ailleurs, le dimanche sera davantage payé qu’un jour de semaine, il permet donc une “revalorisation” du travail
- il semble que l’ouverture du dimanche occasionne un jeu un somme positive : plus de dépenses dans que celles-ci ne soient diminuées les autres jours de la semaine. Ce qui peut se comprendre pour les touristes et difficilement audible pour les résidents : certains ne peuvent-ils faire d’achat parce qu’ils n’ont pas le temps durant la semaine ? ils seraient alors obligés d’épargner !
- ce qui inquiète les syndicats ce sont deux aspects : d’une part le volontariat des travailleurs, est-on vraiment volontaire pour travailler ce jour, le patron ne pourra-t-il “forcer” ses salariés à accepter le travail dominical ; d’autre part, les salaires ne vont-ils pas stagner du fait que les heures supplémentaires constituent un surcroit de pouvoir d’achat.
- un argument cité par les employés qui acceptent de travailler le dimanche : “avoir davantage de temps libre”; Outre le fait que les semaines de travail vont être allongées, la fatigue et la productivité devraient elles aussi évoluer et probablement en sens contraire. Dès lors le temps de récupération obtenu sera nécessaire pour compenser le surcroit de fatigue. le gain apparaît donc inexistant. Cela interroge par ailleurs sur le lien social, la déréglementation du temps de travail entraine une individualisation de celui-ci. Le dimanche travaillé est un jour comme les autres. Les salariés auront donc de moins en moins de jours de repos communs. Quelles seront les conséquences pour les loisirs, les activités des associations … La disponibilité des travailleurs sera plus”éparpillée” sur la semaine.
- Que dire enfin de ces personnes recrutées uniquement pour travailler en fin de semaine. Quelle entrée dans la vie active pour ces jeunes qui commenceront par connaitre la contrainte de la flexibilité du temps de travail avant de connaitre le droit du travail
Cette évolution qui doit permettre de “libérer” le commerce et probablement la croissance, ne présage rien de bon pour l’évolution du droit du travail et pour notre société, individualisée et précarisée à tout va
Shukuru