Le traditionnel Bal des débutantes se tient ce samedi 30 novembre à Paris. Cet événement, qui rassemble des filles d’aristocrates, d’artistes, de personnalités politiques ou de grands industriels, répond il à une logique de caste ? Faut-il y voir une tendance à s’enfermer dans une classe sociale, qui répond à l’éternel besoin des humains à s’élever au-dessus des autres sans se mélanger avec eux ?
Michel Maffesoli : Le Bal des Débutantes, tel qu’il se présente actuellement n’a sans doute plus rien à voir avec ceux du siècle passé. En effet, ces bals de débutantes, de niveaux d’ailleurs différents, selon qu’ils se passaient en préfecture ou à Paris ou Versailles, avaient pour objectif essentiel de permettre aux jeunes filles et jeunes gens de “bonne famille” de se rencontrer pour favoriser les mariages endogamiques, c’est à dire éviter les “mésalliances”.
Sans doute est-ce encore l’objectif poursuivi par nombre de rallyes et autres festivités de classe ou de castes. Mais deux caractéristiques viennent affadir cet objectif :
D’une part, il est de notoriété publique que les rejetons de ces bonnes familles, filles et garçons d’ailleurs, transgressent les codes de bonne conduite : il n’est pas rare que l’ivresse alcoolique, voire celle provoquée par d’autres adjuvants soit au rendez-vous, sans compter que le temps où le jeune marié découvrait le soir des noces la nudité de sa fiancée est bien révolu.
Alors, à quoi servent encore ces festivités ?
Mais je pense que le tribut que paient ces jeunes gens à leur “tribu” n’est pas léger et nombre de drames relatés par les médias en attestent. Être “fils de” n’est pas forcément un sort enviable et devoir se plier aux règles d’enfermement de la tribu non plus.
Certaines catégories sociales sont-elles plus concernées que d’autres par ce réflexe ? Quelles sont-elles, et quels sont les ressorts psychologiques et sociaux qui les motivent pour “court-circuiter” cette logique d’ascenseur social, et in fine rester entre soi ?
L’entre-soi est un autre mot pour dire le réflexe communautaire. Celui-ci est de tous les temps, car seule cette solidarité de proximité permet d’affronter les vicissitudes de la vie. La différence entre les communautés-tribus contemporaines et celles d’avant la Révolution française est qu’elles n’assignent plus à identité sociale à vie, ni qu’elles ne sont uniques. Même une jeune débutante peut appartenir, outre son cercle aristocratique ou people, à d’autres tribus, musicales, sportives, sexuelles… D’ailleurs l’adjonction aux débutantes descendantes de familles aristocratiques de filles d’artistes (parfois fils ou filles de prolétaires), d’industriels ou de politiques montre bien que même cette tribu là se métisse. Elle n’est qu’une tribu parmi les autres, et en tant que telle peut-être a-t-elle plus d’importance comme tribu totémique que comme tribu réelle.
Peut-on dire que notre héritage aristocratique a toujours une forte influence, que la logique des classes hermétiques perdure en dépit de toutes les révolutions sociales de ces derniers siècles ?
Société de castes et société de classes sont deux modèles sociétaux qui d’une certaine manière se succèdent. Très clairement les XIXème et XXème siècles européens ont été des sociétés de classes. Dans notre société postmoderne, il me semble qu’il y a comme un retour à une société de castes. Mais bien sûr, ce n’est pas un retour à l’identique. La société de castes postmoderne n’est pas aussi cloisonnée et séparée en communautés hermétiques que ne l’était la société médiévale par exemple ou que ne l’est la société indienne. Et ceci notamment parce que chaque individu peut, sous des masques divers (la personna, c’est l’acteur portant un masque) s’identifier à de multiples tribus. Ce sont ces identifications multiples qui finalement relativisent la hiérarchie entre tribus et empêchent l’enfermement identitaire. Le bal des débutantes est en quelque sorte un bal de marionnettes et l’on aurait tort de s’en scandaliser ; ce n’est qu’une fête de quartier parmi d’autres.
Sans doute à marquer une appartenance de caste (curieux que ce mot ne soit employé que pour les aristocrates), c’est-à-dire sociologiquement parlant une appartenance communautaire qui n’est au fond pas différente dans sa nostalgie des origines perdues de celles de nombre de communautés immigrées qui louent en banlieue des garages et autres gymnases pour y organiser les bals qui feront se rencontrer entre eux leurs enfants !
D’autre part, on peut aussi se demander si ce bal des débutantes n’est pas essentiellement organisé pour être relaté dans les médias : ce qui fait évènement ce n’est pas tant le bal lui-même que son compte rendu dans quelques médias spécialisés, Paris Match, Gala etc.
Bien sûr qu’il n’y aura à ce bal que des jeunes gens et jeunes filles triés sur le volet, propres sur eux, au moins en début de soirée. Mais rien ne dit qu’ils n’iront pas ensuite s’encanailler dans quelqu’autre soirée, sinon aujourd’hui, du moins demain. Car comme tous les autres, ils appartiennent à de multiples tribus et celle-ci est devenue l’une parmi d’autres.
Alors que dans notre société occidentale, et notamment en France, il est beaucoup question d’ascenseur social et de méritocratie républicaine, le réflexe de constitution en castes n’entre-t-il pas en totale contradiction avec ces beaux discours ? Pourquoi ?
Tout d’abord, la notion même d’ascenseur social ne se comprend que s’il y a un haut et un bas, il faut donc bien qu’il y ait des riches et des pauvres pour que les seconds puissent espérer prendre la place des premiers. Une société égalitaire éliminerait toute ascension ! Alors bien sûr, l’existence de festivités réservées aux “enfants de”, que ces “distingués nobles” le soient de naissance, de par le talent de leurs parents ou de par l’héritage peut choquer l’adage républicain selon lequel les seules distinctions doivent être celles du talent et du mérite et non la naissance
Mais je pense que le tribut que paient ces jeunes gens à leur “tribu” n’est pas léger et nombre de drames relatés par les médias en attestent. Être “fils de” n’est pas forcément un sort enviable et devoir se plier aux règles d’enfermement de la tribu non plus.
Certaines catégories sociales sont-elles plus concernées que d’autres par ce réflexe ? Quelles sont-elles, et quels sont les ressorts psychologiques et sociaux qui les motivent pour “court-circuiter” cette logique d’ascenseur social, et in fine rester entre soi ?
L’entre-soi est un autre mot pour dire le réflexe communautaire. Celui-ci est de tous les temps, car seule cette solidarité de proximité permet d’affronter les vicissitudes de la vie.La différence entre les communautés-tribus contemporaines et celles d’avant la Révolution française est qu’elles n’assignent plus à identité sociale à vie, ni qu’elles ne sont uniques.Même une jeune débutante peut appartenir, outre son cercle aristocratique ou people, à d’autres tribus, musicales, sportives, sexuelles…D’ailleurs l’adjonction aux débutantes descendantes de familles aristocratiques de filles d’artistes (parfois fils ou filles de prolétaires), d’industriels ou de politiques montre bien que même cette tribu là se métisse. Elle n’est qu’une tribu parmi les autres, et en tant que telle peut-être a-t-elle plus d’importance comme tribu totémique que comme tribu réelle.
Peut-on dire que notre héritage aristocratique a toujours une forte influence, que la logique des classes hermétiques perdure en dépit de toutes les révolutions sociales de ces derniers siècles ?
Société de castes et société de classes sont deux modèles sociétaux qui d’une certaine manière se succèdent. Très clairement les XIXème et XXème siècles européens ont été des sociétés de classes. Dans notre société postmoderne, il me semble qu’il y a comme un retour à une société de castes. Mais bien sûr, ce n’est pas un retour à l’identique. La société de castes postmoderne n’est pas aussi cloisonnée et séparée en communautés hermétiques que ne l’était la société médiévale par exemple ou que ne l’est la société indienne. Et ceci notamment parce que chaque individu peut, sous des masques divers (c’est l’acteur portant un masque) s’identifier à de multiples tribus. Ce sont ces identifications multiples qui finalement relativisent la hiérarchie entre tribus et empêchent l’enfermement identitaire. Le bal des débutantes est en quelque sorte un bal de marionnettes et l’on aurait tort de s’en scandaliser ; ce n’est qu’une fête de quartier parmi d’autres.
Michel Maffesoli, sociologue, membre de l’Institut universitaire de France, est professeur à la Sorbonne.
http://www.atlantico.fr/decryptage/bal-debutantes-schizophrenie-supreme-france-tout-aussi-obsedee-ascenseur-social-que-besoin-effrene-se-distinguer-michel-913110.html/page/0/1