L’innovation est au coin de la rue. On la rencontre aussi bien chez cet agent d’assurances qui “se débrouille” avec les procédures pour satisfaire son client, que chez ce professeur qui met en place dans son collège un module de formation à la citoyenneté.
L’innovation est donc une activité banale et quotidienne. Mais elle est en même temps complexe, car éminemment sociale. Elle n’est pas produite uniquement par la technique, la rationalité ou la stratégie : elle résulte d’un processus mêlant de l’incertitude, de la transgression, les interactions et des croyances. L’informatique, Internet, la pilule contraceptive sont issus d’inventions techniques ou scientifiques, mais ils ne constituent des innovations que parce qu’ils ont induit une transformation des usages sociaux. Les travaux des historiens montrent que cette transition ne va pas de soi : au Moyen Age, la charrue à roue ne s’est développée que très lentement, parce que son usage se heurtait à des obstacles culturels et juridiques. Par exemple, elle exigeait des champs ouverts, ce qui signifiait de toucher à la structure des droits de propriété.
L’innovation est une affaire de croyances. Pourquoi les entreprises décident-elles d’innover, pourquoi investissent-elles des sommes considérables en recherche et développement ? Les dirigeants sont incapables de prévoir la rentabilité des dépenses liées à l’innovation notamment parce que le succès de nouveaux produits ou d’une nouvelle organisation n’est que très faiblement prévisible.
Paradoxalement, l’innovation suppose dans sa phase initiale, des individus qui transgressent les normes en vigueur.
Philippe CABIN, l’innovation : croyances et pratiques, Sciences Humaines, Décembre 2000