On s’en doutait, l’Insee vient de le confirmer : la politique fiscale d’Emmanuel Macron a creusé les inégalités. Deux études, qui viennent d’être publiées, en attestent.
Comme chaque année à cette période, la première fait le point sur l’évolution des principaux indicateurs d’inégalités (niveaux de vie, indice de Gini, pauvreté, etc.). Ce rendez-vous statistique annuel était particulièrement attendu cette fois-ci, car il concerne l’année 2018 et permet donc d’appréhender les effets des premières réformes mises en œuvre par Emmanuel Macron. Le titre de cette publication est d’ailleurs explicite : « En 2018, les inégalités de niveaux de vie augmentent ». Elles s’accroissent même « nettement » apprend-on un peu plus loin dans la publication. Fermez le ban !
La deuxième étude, publiée mardi 8 septembre, se penche plus précisément sur l’impact des réformes de 2018 de la fiscalité du capital. C’est-à-dire la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), ainsi que la mise en place d’une flat tax sur les revenus du capital, également appelée prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 %. Là aussi, la conclusion, fondée toutefois sur une modélisation et non sur des constats statistiques, est sans appel : les grands gagnants sont les 5 % des Français les plus riches, qui voient leur niveau de vie annuel augmenter de plus de 1 000 euros.
Des riches plus riches et des pauvres plus pauvres : voilà malheureusement un bon résumé de l’évolution des niveaux de vie, tel que mesuré par l’Insee.
Si l’on regarde le milieu de la distribution, il n’y a pas grand-chose à signaler. Le niveau de vie médian, celui qui partage la population en deux (une moitié vit mieux, l’autre moins bien) est de 1 771 euros par mois et par personne en 2018, en progression de 0,3 % par rapport à l’année précédente. Ce faisant, « il poursuit sa lente progression depuis cinq ans ». En dix ans, il a gagné 1 %. Cette relative stagnation est à mettre sur le compte de la crise de 2008. Avant que le système des subprime ne s’effondre, le niveau de vie médian en France augmentait à un rythme nettement plus vigoureux (+ 1,4 % par an en moyenne entre 1996 et 2008).
Au-delà de la médiane, le sort des deux extrémités de l’échelle sociale diffère assez nettement. En 2018, les 30 % des Français les moins riches ont vu leur niveau de vie diminuer. La baisse est particulièrement prononcée au sein des 10 % les moins bien lotis, dont le niveau de vie plafond 1 a baissé de 2,9 % en dix ans.
Pour l’année 2018, c’est la diminution du montant des allocations logement qui est en cause. Même s’il est vrai que les locataires du parc social ont obtenu en contrepartie une baisse de leur loyer, qui n’est pas prise en compte dans ces chiffres.
Résultat, la pauvreté continue son ascension et atteint 14,8 % de la population, son niveau le plus haut depuis 1996, date à laquelle commence la série statistique de l’Insee. En 2018, 9,3 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté officiel (à 60 % du niveau de vie médian), c’est-à-dire avec moins de 1 063 euros par mois, soit 400 000 personnes de plus qu’en 2017. Davantage de personnes ont également basculé sous le seuil à 50 % du niveau de vie médian qui a augmenté de 0,3 point pour atteindre 8,3 % en 2018, alors qu’il stagnait depuis plusieurs années.
Ce taux de pauvreté augmente notamment pour les retraités, sous l’effet du gel des pensions et de la hausse de la CSG. Il augmente aussi fortement pour les familles monoparentales, passant de 33,6 % à 35,3 %, ce qui est encore plus inquiétant, étant donné que les mères isolées étaient déjà très exposées à la pauvreté. Là encore, on peut y voir un effet de la baisse des allocations logement. Comme le précise l’Insee : « Le niveau de vie des familles monoparentales, très présentes parmi les familles pauvres, a été davantage pénalisé par la réforme des aides au logement : une famille monoparentale sur deux (50,4 %) bénéficie d’une allocation logement, contre 22 % de l’ensemble des ménages. »
Et cette dégradation du niveau de vie des moins bien lotis n’est pas simplement conjoncturelle, comme le souligne Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités : « On voit une remontée de la pauvreté et des inégalités à la fois à court terme, qui résulte des mesures prises dès le changement de majorité en 2017, mais aussi de plus long terme, avec notamment une progression de la pauvreté qui s’amorce dès 2002. »
Côté ménages aisés, c’est une tout autre histoire. Signe de leur bonne fortune, le seuil d’entrée dans le club des 10 % les plus riches a augmenté de 0,6 %, pour atteindre 39 130 euros, « dépassant légèrement son niveau d’avant la crise économique de 2008 », précise l’Institut statistique. Et plus on grimpe dans la hiérarchie des revenus, mieux on se porte : le niveau de vie plancher des 5 % les plus aisés augmente plus nettement, de 1,2 %.
« La progression des revenus d’activité a été un peu plus importante dans le haut de la distribution, retrace l’Insee. Les ménages les plus aisés ont également davantage bénéficié de l’augmentation des revenus du patrimoine, portée par une forte hausse des dividendes reçus par les ménages, dans un contexte de fiscalité plus incitative avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique. »
Résultat, les indicateurs d’inégalités sont logiquement orientés à la hausse. Ils dépassent même leur niveau de 2008, tout en restant inférieurs au point haut de 2011. C’est ce que montre notamment l’évolution de l’indice de Gini, qui passe de 0,289 en 2017 à 0,298 en 2018. Or, plus cet indicateur (dont la valeur oscille entre 0 et 1) augmente, plus les inégalités sont fortes.
« Sans surprise pour ceux qui ont suivi l’actualité politique, la politique sociale et fiscale d’Emmanuel Macron est régressive : les ménages les plus pauvres perdent une part d’allocations logement tandis que les plus riches bénéficient de la réforme de la fiscalité sur le capital », commente l’économiste Guillaume Allègre. L’effet des choix budgétaires du gouvernement est particulièrement manifeste sur les ménages les plus pauvres : « Alors que le 1er décile avant redistribution augmente entre 2017 et 2018, il diminue après redistribution », ajoute Guillaume Allègre.
Concernant les plus riches, l’effet de la politique fiscale du gouvernement est moins évident dans les statistiques de l’Insee. Et pour cause : « Le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune par l’impôt sur la fortune immobilière n’est pas pris en compte ici, précise l’Insee. Il aurait principalement un impact sur le niveau de vie des 5 % les plus aisés, sans avoir d’effet significatif sur le dernier décile de niveau de vie. »
On touche ici une des limites des statistiques de l’Insee sur les inégalités, qui se contente de découper la population française en fonction de ses revenus par tranche de 10 % – les fameux déciles. On peut comparer le sort des 10 % les plus pauvres avec les 10 % les plus riches, c’est le rapport interdécile. Mais ce n’est pas assez précis pour comprendre l’évolution des revenus des très riches, où beaucoup de choses se jouent à l’échelle des centiles (1 %) voire en deçà. « Les indicateurs sont trompeurs : ce n’est pas parce que le neuvième décile (les 10 % les plus riches, ndlr) ne bouge pas qu’il ne s’est rien passé, car l’ISF ne concernait qu’environ 1 % des ménages les plus riches », confirme Guillaume Allègre.
L’étude de Félix Paquier et Michaël Sicsic, parue quelques jours plus tôt, donne davantage de précisions. Le remplacement de l’ISF par l’IFI en 2018 a fait perdre 3,44 milliards d’euros de recettes fiscales à l’Etat, au profit de 340 000 ménages gagnants. « L’effet moyen sur les ménages qui sont affectés par la mesure est de + 9 770 euros sur le revenu disponible et + 6 700 euros en 2018 sur le niveau de vie », précisent les auteurs.
A cela s’ajoutent les effets, également bénéfiques pour les plus riches, de la « flat tax ». Les 5 % de personnes les plus aisées ont empoché un gain de niveau de vie de 640 euros par an, si l’on prend en compte le changement de comportement induit par la réforme (c’est-à-dire essentiellement le fait que les riches ont touché davantage de dividendes grâce à cette fiscalité plus incitative).
« Au final, le passage de l’ISF à l’IFI ne représente que 3 milliards d’euros, ce qui est relativement peu dans le revenu des ménages les plus aisés, souligne Guillaume Allègre. Mais si cet argent avait été consacré aux plus pauvres, les inégalités auraient sensiblement baissé, davantage en tout cas qu’elles n’ont augmenté en le consacrant aux plus aisés car, proportionnellement, 3 milliards représentent une part bien plus importante du revenu des ménages pauvres. »
Ces chiffres nous renseignent sur l’impact des premières années de gouvernement d’Emmanuel Macron. Ils ne nous disent rien, en revanche, sur ce qui s’est passé en 2019 ni depuis la crise sanitaire. Or tout porte à croire que la hausse des inégalités a dû s’accélérer depuis.
« Ce sont les effets de la crise du Covid-19 qui seront prédominants pour 2019-2020. D’un point de vue économique, les travailleurs précaires sont touchés en premier : les CDD et les intérimaires. Les jeunes, aussi, qui auraient pu s’attendre à trouver un emploi. Et les premières victimes du confinement ont été les sans-abri », juge Guillaume Allègre. Avant d’ajouter : « Contrairement à 2008, la hausse attendue des inégalités due à la crise économique ne devrait pas être compensée par une hausse de la redistribution. Le plan de relance ne prévoit que très peu de mesures en faveur des ménages les plus précaires. »
Un point de vue que partage Louis Maurin : « La hausse des inégalités que l’Insee mesure pour 2018, ce n’est rien comparé à la situation de 2020. La politique actuelle est totalement aveugle aux difficultés sociales, notamment des jeunes. »
LAURENT JEANNEAU 10/09/2020 Alternatives économiques
La théorie du ruissellement, selon laquelle, la richesse grandissante des premiers de cordée, ruissellera sur l’ensemble de la population, n’est donc qu’un faux prétexte pour permettre aux plus riches de s’enrichir davatange.
Les inégalités progressent, il n’y a aucune conséquence positive de l’enrichissement du 9ème décile sur l’ensemble de la population.
Est-ce étonnant ? Pas vraiment, les plus riches n’investissent pas et ne consomment pas nécessairement en France, donc le pays ne retire aucun profit des faveurs qui leurs sont accordées.
Shukuru