« Une décision historique qui s’inscrit dans les positions prises par les grandes cours planétaires. » L’avocate Corinne Lepage a accompagné la commune de Grande-Synthe et son ancien maire, Damien Carême, aujourd’hui député européen, dans un recours juridique devant le Conseil d’Etat. Il visait à annuler un refus du gouvernement, fin 2018, de prendre des mesures complémentaires pour atteindre les objectifs climatiques qu’il s’est donnés pour respecter l’accord de Paris. Soit une baisse de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport à 1990.
Le 19 novembre dernier, la plus haute juridiction administrative a jugé le recours recevable et a donné trois mois au gouvernement pour « justifier que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 ». S’il n’est pas satisfait, il pourra prononcer une injonction à agir à son encontre.
Cette affaire est une première. Auparavant, jamais « des requérants n’avaient saisi la justice pour faire apprécier l’intégralité du cadre réglementaire climatique », note Christel Cournil, professeure à Sciences Po Toulouse, auteure de l’ouvrage Les grandes affaires climatiques. « Jusqu’alors, des affaires avaient questionné certains projets au regard de l’environnement. Cette fois, il s’agissait d’interroger frontalement la trajectoire choisie par le gouvernement. C’est inédit. »
Guillaume Hannotin, avocat au Conseil d’Etat, représentant des associations (Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France, Notre affaire à tous, Oxfam France) qui ont soutenu Grande-Synthe dans le dossier, note plusieurs « grandes avancées ». Cette décision permet de « transformer une loi programmatique en une loi d’objectif obligatoire ». Autrement dit, passer d’une promesse à un engagement ferme, devant être tenu. « En germe, cette décision est porteuse de changements très concrets dans le droit appliqué aux opérateurs publics et privés », complète-t-il.
Les quatre associations ont lancé en 2018 l’Affaire du siècle, un recours en justice pour carence fautive de l’Etat en matière climatique. Le tribunal administratif de Paris devrait se prononcer une fois connue la décision finale du Conseil d’Etat. Il pourra, selon Cécilia Rinaudo, directrice générale de Notre affaire à tous, permettre « de préciser davantage la nature et la responsabilité de l’Etat ».
Quant à une loi sur le « crime » d’écocide réclamée par les 150 membres de la Convention citoyenne au début de l’été, elle devrait plutôt prendre la forme d’un délit. Dans le Journal du dimanche, les ministres de la Transition écologique Barbara Pompili et de la Justice Éric Dupond-Moretti ont en effet annoncé la création de deux nouveaux délits, l’un « général de pollution », qui pourrait conduire dans certains cas à un « délit d’écocide », et l’autre « de mise en danger de l’environnement ».
La décision du Conseil d’Etat est inédite en France, mais des précédents existent à l’étranger. A commencer par « l’affaire Urgenda » aux Pays-Bas. En 2015, un juge de premier ressort a demandé à l’Etat de revoir sa copie en matière de réduction des émissions de GES. Un jugement confirmé par la Cour suprême en décembre 2019, se fondant sur le « devoir de protection » prévu par les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Depuis, « la société civile et le gouvernement ont entamé un processus de discussion sur un ensemble de propositions de matière climatique. En avril 2020, un cadrage important de mesures a été adopté », relate Christel Cournil, qui est aussi membre du conseil d’administration de Notre affaire à tous.
Toujours en 2015, au Pakistan, l’agriculteur Asghar Leghari a obtenu gain de cause, alors qu’il contestait l’inaction du gouvernement fédéral et celui de la province de Punjab face au changement climatique.
Trois ans plus tard, en Colombie, la Cour suprême a enjoint le gouvernement de mettre fin à la déforestation pour protéger les générations futures, suite à la saisine d’un groupe de 25 jeunes.
Aux Etats-Unis, de nombreux procès ont aussi eu lieu, cette fois à l’encontre d’entreprises, se soldant souvent par des échecs. Une situation à mettre en regard de l’action intentée par des ONG françaises à l’encontre de Total, estimant que la multinationale manque à son devoir de vigilance. Elle est toujours en cours.
Autres affaires, cette fois à l’échelle de l’Union européenne : le « People’s Climate Case », recours pour insuffisance de la politique climatique intenté par dix familles, pour l’heure jugé irrecevable par le Tribunal de l’Union européenne. Plus récemment, en septembre, six jeunes Portugais ont annoncé attaquer devant la Cour européenne des droits de l’homme 33 Etats pour les contraindre à agir contre la crise climatique. De nouvelles avancées pourraient se multiplier dans les prochains mois et années pour la justice climatique.
BÉNÉDICTE WEISS26/11/2020
https://www.alternatives-economiques.fr/avancee-historique-justice-climatique/00094657
Une avancée dans la politique climatique, le conseil d’Etat demande des comptes à la France. Celle-ci doit prouver qu’elle mène bien une politique qui correspond aux objectifs fixés. On ne se contente plus de la politique est des déclarations des gouvernements, les résultats doivent être vérifiés;
Shukuru