Le conflit politique local est la base de l’identité locale. La campagne pour les élections municipales est l’occasion de mettre en scène la localité, ses groupes et ses conflits ; les pires accusations peuvent être portées sur l’adversaire ; toute l’histoire est mobilisée pour montrer la valeur des uns et les turpitudes* des autres. Les villages du sud-ouest de la France sont particulièrement habiles à cette mise en scène périodique d’eux-mêmes. Puis, l’élection passée, les mêmes, ou presque, reprennent le pouvoir, et la vie municipale reprend son cours.
Dans une étude sur Borsaline, petit village du Cotentin, M.Robert montre admirablement que l’existence locale naît du conflit. Au début de l’étude, le petit village était tellement somnolent qu’il songeait à se laisser absorber par la commune voisine, un gros bourg… Borsaline comptait deux cents habitants, presque tous agriculteurs, mais n’avait ni commerce ni école et son église était sans prêtre… Un retraité racheta la maison abritant le débit de tabac et de boissons et pour s’occuper, réanima le commerce, voulut installer une terrasse, et pour ce faire supprimer la pompe, fontaine municipale qui d’ailleurs ne fonctionnait plus. C’était s’attaquer au dernier symbole de l’existence de Borsaline. Il s’ensuivit une bagarre, un bras cassé et une campagne électorale virulente, quand, l’année suivante, le nouveau cafetier étranger au village, prétendit se faire élire au conseil municipal. Les vieux clivages, qu’on croyait morts, se ravivèrent. Les familles d’anciens journaliers agricoles firent front contre les vieilles familles de paysans… Le maire fut réélu et le cafetier devint conseiller … la mairie entreprit de réaliser tout un programme, notamment pour mieux rentabiliser le bord de mer.
H.Mendras et M.Forsé, Le changement social, 1983