Le leitmotiv est toujours le même : « La social-démocratie danoise, c’est cela dont la France a besoin, sa “flexsécurité” , son modèle social, son Etat-providence », comme si la transposition des décisions prises dans les années 1980 par ce pays de 5 millions d’habitants était la panacée, la solution miracle. La crise financière et économique mondiale que nous connaissons ne fait que renforcer cette image de Graal.
Pour la France, essayer de comprendre le modèle danois et d’en tirer des leçons ne doit pas se résumer à copier son système de flexsécurité par la seule analyse technique de ses politiques. Des éléments fondamentaux de culture, d’éducation et de mentalité, ainsi que de pragmatisme et de taille, donnent au Danemark et à sa population cette confiance en soi-même et les résultats économiques qu’on lui connaît.
La réussite de la social-démocratie danoise, par nature, reste locale et difficilement transposable car la flexsécurité doit d’abord répondre et s’adapter aux réalités nationales. On ne compare pas un dériveur barré par un peuple qui pousse le safran dans le même sens et un paquebot de croisière dont la barre est souvent tirée des deux côtés !
De plus, le premier s’est spécialisé en emplois qualifiés tandis que le second a une tradition d’emplois plus industriels, diversifiés et dispersés sur un vaste territoire, deux facteurs limitant la flexibilité.
Un Danois sur quatre change de travail tous les ans
Les dimensions sociales et culturelles sont essentielles à la compréhension de l’Etat-providence danois et les attitudes sur le marché du travail, notamment vis-à-vis du licenciement et de la mobilité interprofessionnelle. De fait, la grande majorité des départs (72%) sont à l’initiative des salariés eux-mêmes ; un Danois sur quatre change de travail tous les ans grâce au tissu de PME très flexible et demandeur de main d’œuvre qualifiée.
Loin de la culture de conflit et d’opposition quasi systématique des syndicats français, le Danemark est bâti sur un autre syndicalisme, pragmatique, constructif et efficace. Les syndicats, qui représentent plus de 80% des salariés, négocient toutes les conventions collectives ainsi que les formations et les montants alloués aux chômeurs.
Comme le souligne le syndicaliste Jan Kæraa Rasmussen, la réussite du système danois et les sentiments de confiance en l’avenir qui nourrissent la flexibilité et une plus grande capacité d’adaptation s’expliquent grâce au fameux « triangle d’or », la base du modèle danois :
« Au sommet, un marché du travail extrêmement flexible. A la base, une assurance-chômage parmi les plus solidaires d’Europe, mais aussi une procédure active et personnalisée de recherche d’emploi. »
Une société généreuse et xénophobe à la fois
Par ailleurs, le système éducatif danois (et plus largement des pays nordiques) privilégie le travail en groupe et la recherche permanente de consensus aux savoirs individuels. En s’appuyant si fortement sur la « collectivité », la société regarde l’avenir avec plus de sérénité, voire d’insouciance.
Le système français, basé principalement sur l’élitisme scolaire, tend, lui, vers une spécialisation des compétences et des parcours professionnels au détriment d’une flexibilité interprofessionnelle et géographique. Pensez qu’un Danois tout juste sorti du lycée avec le baccalauréat en poche obtient des points supplémentaires pour rentrer à l’université s’il prend auparavant un an sabbatique pour parcourir le monde ! Cette expérience, comme redoubler une année scolaire, apporte un temps de réflexion et de maturité supplémentaire.
Cependant, il existe des limites inhérentes à la marque de fabrique « Danemark » qui, bien que généralement passées par pertes et profits, atténuent le tableau flatteur communément retenu. La société danoise, en pleine évolution, est généreuse et xénophobe à la fois. Elle éprouve des difficultés à intégrer ses étrangers et présente le plus faible taux de mixité en Europe.
Un indice de confiance en déclin
La jeunesse souffre d’un manque chronique d’incitation à se surpasser et les Danois présentent une capacité réduite à réussir à l’étranger dans des contextes socio-économiques compétitifs ou politiques. Le gouvernement actuel a tenté à plusieurs reprises de transformer le système éducatif pour le rendre plus élitiste, par exemple en valorisant moins le travail systématique en groupe ou les années sabbatiques. Cependant, les pratiques des étudiants danois sont apparues difficiles à changer.
La situation des finances publiques et privées n’est pas sans rappeler l’Espagne et l’Irlande. A force de concentrer leurs efforts sur les indicateurs de stabilité de Maastricht, ces deux pays en ont oublié que les ménages vivaient au dessus de leurs moyens, notamment en raison des coûts de l’immobilier, et s’endettaient considérablement.
D’ailleurs, l’indice de confiance des consommateurs danois ne s’y trompe pas : il est en déclin régulier depuis janvier 2006 et connaît son plus bas niveau depuis seize ans.
Stéphane Isoard | Agence européenne pour l’environnement (Copenhague)