Si le niveau global d’instruction a considérablement augmenté en France, les inégalités n’ont pas disparu pour autant. Un constat qui révèle d’abord un problème de société.
Le manque d’emploi renforce la compétition à l’école. Si les parcours scolaires se sont allongés pour tous, les inégalités demeurent. Le haut de la hiérarchie scolaire reste peu accessible aux enfants des catégories populaires. On est loin de l’égalité des chances.
Le niveau de diplôme s’élève
La seconde moitié du XXe siècle aura été marquée en France par une élévation considérable du niveau scolaire. Dans la génération née en 1932, seuls 30 % des personnes ont poursuivi des études après l’âge de 16 ans. Dans celle de 1962, ce pourcentage a atteint 90 %. Depuis, il a encore légèrement progressé, Le niveau de diplôme de l’ensemble de la population ne cesse donc de croître. De même, l’âge moyen de fin d’étude était de 14 ans et demi en 1935, il est passé à 18 ans en 1985 et à 21 ans en 1995. Avec près de 60% des jeunes de moins de 30 ans en cours d’études, la France a ainsi un des taux de scolarisation les plus élevé d’Europe. Et ce mouvement est destiné à se poursuivre. En effet la loi d’orientation de 1989 a fixé l’objectif d’amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat en l’an 2000, un objectif déjà pratiquement atteint.
Cette élévation d’ensemble a permis de réduire très fortement la traditionnelle inégalité selon les sexes. C’est là un bouleversement social sans précédent à l’échelle historique. Certes, il existe encore des différences dans la répartition des garçons et des filles, selon les filières de l’enseignement scolaire général et de l’enseignement supérieur. Ainsi, la traditionnelle opposition entre la Terminale L, littéraire (plutôt féminine), et la Terminale S, scientifique (plutôt masculine), ne se réduit qu’avec une extrême lenteur. Du coup, les formations scientifiques et les écoles d’ingénieurs demeurent largement masculines, tandis que les facultés de Lettres sont féminines à plus de 70%. Cependant, la poussée féminine est générale et continue. La parité est atteinte dans la plupart des grandes écoles de commerce. La classique opposition entre la médecine masculine et la pharmacie féminine n’est plus valide ; Les facultés de Droit et de Sciences économiques se féminisent de même.
Les Inégalités sociales se déplacent
Depuis l’institution du collège unique en 1975, relayée par la loi Savary de 1984 et la loi d’orientation de 1989, le système scolaire français offre une formation théoriquement uniforme jusqu’en classe de Troisième (en réalité, il existe des inégalités de moyens selon les régions, les départements et même les établissements). Il opère ensuite une première sélection en orientant les adolescents soit dans des filières générales, soit dans des filières dites techniques ou professionnelles. Le caractère social de cette sélection est manifeste puisque ces dernières filières sont massivement occupées par des jeunes issus des couches populaires. De plus, à la fin du collège, plus de 5 % des élèves (issus presque exclusivement des couches populaires) ont été exclus ou bien ont d’ores et déjà quitté l’école.
Au total, chaque année, près de 80 000 jeunes sortent du système sans aucun diplôme. Pour eux, l’avenir est déjà très obscurci.
Si le niveau scolaire d’ensemble ne cesse de s’élever, les inégalités n’ont pas disparu pour autant. Elles se sont déplacées vers le haut. Après le tri opéré à la fin de la Troisième, l’entrée puis le maintien dans l’enseignement supérieur constitue la seconde grande barrière sociale qui joue de deux manières. D’abord, par la nature des études, supérieures les bacheliers d’origine ouvrière s’orientent massivement vers les filières courtes ou généralistes de l’université, tandis que les grandes écoles accueillent essentiellement des enfants issus de familles de cadres supérieurs et d’enseignants.
La durée des études supérieures oppose également les milieux sociaux. Un tiers des étudiants de premier cycle universitaire sont issus de familles de cadres supérieurs et d’enseignants, contre seulement 14% d’enfants d’ouvriers. A l’arrivée en troisième cycle, les premiers représentent la moitié des effectifs, contre seulement 7% pour les seconds.
Le ralentissement de la croissance et ses conséquences sur la structure des emplois a accru la sélection sociale au haut de l’échelle scolaire. Le nombre de cadres a continu à augmenter, mais pas aussi massivement que celui des diplômés. Du coup, la lutte s’est accrue pour les meilleures places, favorisant les enfants des catégories supérieures. Le même mécanisme a conduit à une dévaluation des titres : un niveau de diplôme donné ne donne plus accès aux mêmes positions sociales.
Pourquoi l’égalité des chances n’est-elle pas assurée ?
L’école républicaine n’assure donc pas l’égalité des chances. Le constat est ancien. Pour qui cherche des solutions, la difficulté réside dans l’interprétation. La simple dénonciation du “ système”, incluant les enseignants et leurs pratiques pédagogiques paraît aujourd’hui insuffisante.
Tout d’abord sans doute parce que les gouvernements affichent presque toujours leur volontarisme, les politiques publiques d’éducation ont été trop rarement mises en cause. Pourtant, la grève des enseignants de Seine-Saint Denis au printemps 1998 a révèle ce que les enquêtes disent depuis de nombreuses années derrière l’unité apparente du système, se cachent en réalité des disparités géographiques. Les établissements disposent de dotations budgétaires et de taux d’encadrement très différents, engendrant des inégalités considérables. Mais surtout, la ségrégation spatiale – qui s’explique en partie par le prix de l’immobilier – fait en sorte que les bons élèves des catégories favorisées, se retrouvent entre eux, quitte à accepter dans certains cas des classes surchargées.
Ces inégalités structurelles sont plus ou moins bien connues des parents d’élèves. La maîtrise de l’information peut parfois s’avérer décisive. Contrairement aux milieux populaires, les milieux aisés et les milieux cultivés (notamment les enseignants) choisissent avec soin les filières d’orientation et se battent pour obtenir ce qu’ils souhaitent pour leurs enfants. La relation qu’entretiennent les familles avec le système scolaire joue un rôle central. Les études sur les aspirations des lycéens et des lycéennes ont montré que leurs parents ont des représentations différentes de ce qui constitue la “réussite” pour un garçon et pour une fille, Le même raisonnement peut être fait en fonction du milieu social, sans doute est-il plus déterminant encore. Le niveau de ce qui sera considéré comme un “succès” n’est pas le même pour un enfant de cadre supérieur et pour un enfant d’ouvrier. De même, du côté des élèves, la connaissance et le jugement sur la difficulté des filières dépend aussi de la position de leurs parents. Le fait d’avoir des parents qui sont “passés par-là” est un plus évident.
Que ce soit à travers les moyens mis en œuvre ou l’organisation du système d’enseignement (programmes, filières, etc.), l’école a sa part de responsabilité dans les inégalités de fin de parcours, comme dans les difficultés d’insertion de nombreux jeunes. Pour autant, ce n’est pas en réformant le système scolaire qu’on réduira le chômage, ni qu’on supprimera les inégalités sociales. On ne peut demander à l’école seule ce que la société ne sait pas, ou ne veut pas, faire.
Alternatives Economiques HS N°40, 2e trimestre 1999