Un article très intéressant à lire pour comprendre que les statistiques ont aussi un enjeu politique, et qu’il faut se méfier de ce qu’elles semblent montrer.
Enfumage sur les heures sup’
Pourquoi le gouvernement a-t-il transmis au Parlement, dès la fin janvier, un rapport sur les heures supplémentaires en 2008 ? Pourquoi cet empressement à publier des chiffres au conditionnel, alors qu’il aurait suffit d’attendre trois semaines pour s’appuyer sur les chiffres définitifs que publiera l’Acoss (1) vers le 20 février ?
La seule urgence, semble-t-il, était d’enfumer l’opinion. Lui faire croire que la loi d’août 2007, dite TEPA (2) avait réellement engendré des heures supplémentaires en les défiscalisant et en les exonérant de charges sociales. Lui faire croire que « travailler plus pour gagner plus », ça avait marché, fût-ce un peu. Et que le gouvernement n’avait pas jeté 3 milliards d’euros « sur le sable », comme le dit Nicolas Sarkozy à propos des plans de relance par la consommation d’antan.
Or le service statistique du ministère du Travail avait fixé le repère.
En 2007, a calculé la Dares (3), pas moins de 730 millions d’heures supplémentaires auraient été effectuées de toutes façons, sans loi les encourageant, par quelque 5,5 millions de salariés du secteur marchand non agricole. (Cliquez sur l’image pour lire cette étude)
Il était certes très difficile d’annoncer plus pour 2008. Durant les trois premiers trimestres – les seuls chiffres connus jusqu’à présent, – les entreprises du secteur marchand non agricole n’ont pas déclaré plus de 540,2 millions d’heures sup’. Pour faire aussi bien en 2008 qu’en 2007, Il faudrait qu’elles en aient déclarées près de 190 millions au quatrième trimestre. Un record absolu, en pleine crise économique !
Même le ministère des Finances n’a pas parié là-dessus. Il table, en croisant les doigts, sur 180 millions d’heures sup’ au quatrième trimestre dans le secteur marchand non agricole, indique son rapport au Parlement. Cela ferait 720 millions en tout dans l’année. Moins qu’en 2007 !
Comment augmenter artificiellement ce chiffre calamiteux ? C’est bien simple : en étendant au secteur agricole le champ de la prévision, Bercy a arbitrairement ajouté 30 millions d’heures aux 720 millions pour en faire 750. Et c’est ce chiffre maquillé que la presse a retenu.
Salut l’artiste ! Regardons toutefois de plus près ces 30 millions d’heures supplémentaires effectuées en 2008 dans le monde agricole, selon les espoirs de la ministre de l’Economie.
Sur quoi Christine Lagarde s’est-elle appuyée pour arriver à ce chiffre ? Sur le nombre des heures sup’ recensées au premier semestre par la Mutualité sociale agricole. Un recensement dont le gouvernement nous dit quasiment tout dans un tableau bourré de chiffres à l’euro près. C’est à la page 12 de son rapport : nombre d’heures « normales », nombre d’heures supplémentaires et complémentaires, nombre de salariés agricoles concernés, salaires perçus, rémunérations des heures sup’, etc.
Or ce tableau recèle de très curieuses informations, qu’il suffit de calculer à partir des chiffres publiés. Les ratios intéressants ont été calculés dans le tableau ci-dessous. On y apprend par exemple que le salaire horaire brut « heures normales » des salariés agricoles a diminué entre l’hiver et le printemps 2008. On y apprend encore que les heures supplémentaires ont été moins bien payées que les heures normales. On y apprend enfin qu’un salarié agricole a effectué en moyenne à peine plus de 27 heures par semaine au printemps dernier – heures supplémentaires comprises.
Etonnant, non ?
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(1) Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (C’est la caisse nationale des URSSAF).
(2) Travail, emploi, pouvoir d’achat.
(3) Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.
http://dechiffrages.blog.lemonde.fr/2009/02/03/enfumage-sur-les-heures-sup/