Non, deux jours fériés de moins ne donnent pas un point de croissance en plus
Le Monde.fr | 15.09.2014 Par Alexandre Pouchard
Le mouvement patronal évoque une série d’idées pour relancer la croissance, qu’il assume comme parfois « agressives ou caricaturales ».
Parmi les propositions, qui restent pour le moment à l’état de brouillon, mais dont plusieurs ont déjà fuité dans la presse, un certain nombre ont effectivement fait particulièrement réagir. Et en premier lieu l’idée de supprimer deux jours fériés.
1. Deux jours fériés en moins ne créeront pas 1 % de croissance
1% Selon le Medef, cité par Les Echos, ces deux jours créeraient à eux seuls 1 % de croissance et 100 000 emplois
« Le nombre de jours fériés (11 au total) et les complexités d’organisation qu’ils induisent sont un frein à la croissance et donc à l’emploi. »
POURQUOI C’EST EXAGÉRÉ ?
Si on doit encore attendre la version définitive des propositions du Medef pour étudier sa méthode de calcul, l’effet supposé sur la croissance de la suppression de ces deux jours fériés paraît d’ores et déjà exagéré.
Selon une étude de l’Insee, l’effet sur le produit intérieur brut des 251 jours ouvrés de 2014 (le même nombre qu’en 2013), incluant cinq jours par semaine et les onze jours fériés annuels, devrait être de -0,04 point (estimation avec un intervalle de confiance de 95 % compris entre -0,09 et 0 point).
L’Institut national de la statistique et des études économiques juge ainsi que 2014 n’est « quasiment pas marquée par l’effet des jours ouvrés sur la croissance ».
Il y aura en 2015 un jour de semaine ouvré supplémentaire par rapport à 2014, soit 252. L’Insee estime à +0,06 point l’impact du calendrier sur la croissance (estimation avec un intervalle de confiance de 95 % compris entre 0,00 et 0,12 point).
En 2016, année bissextile avec 253 jours de semaine ouvrés, l’effet du calendrier devrait lui aussi être positif sur le PIB, à 0,11 point.
Bien qu’en tenant compte de la marge d’erreur (entre 0,04 et 0,17 point), l’estimation de 0,11 point de bénéfice pour la croissance des deux jours ouvrés supplémentaires en 2015 se situe bien loin de celle d’une croissance de 1 % réalisée par le Medef.
A noter que cette étude annuelle de l’Insee, consacrée aux « corrections de jours ouvrables dans les comptes trimestriels », tient compte des spécificités de chaque secteur, rappelant qu’« intuitivement, l’effet d’un samedi [ou d’un jour férié] ne sera pas le même sur la consommation en restaurants que sur la production automobile ».
Autrement dit, l’industrie peut être pénalisée par un jour férié, mais le tourisme et les loisirs en bénéficient.
2. Un effet limité de la réforme des seuils sociaux
C’est une demande récurrente de l’organisation patronale : un « lissage » des seuils sociaux, qui imposent aux entreprises une centaine d’obligations en fonction de leur taille, comme la mise en place d’un comité d’entreprise (CE) à partir de 50 salariés, la contribution au « 1 % logement » au-delà de 20 salariés ou encore une cotisation à la formation professionnelle, exponentielle en fonction du nombre de salariés.
Selon le Medef, une réforme de ces seuils – objet d’une intense négociation avec les syndicats – permettrait de créer entre 50 000 et 100 000 emplois. Ce chiffre est proche de celui avancé par la fondation Ifrap, un think tank libéral, selon lequel la suppression des seuils sociaux pourrait créer entre 70 000 et 140 000 nouveaux emplois.
Comme nous l’expliquions dans un précédent article, l’Ifrap s’est appuyée sur des calculs d’une étude de l’Insee, réalisée en 2011 à partir de données de 2005, pour savoir si les entrepreneurs évitaient parfois d’embaucher pour que leur entreprise ne franchisse pas certains seuils sociaux.
Les données fiscales, remplies par les entreprises elles-mêmes et jugées « approximatives » par l’Insee, tendent à montrer « une accumulation d’entreprises ayant des effectifs situés juste en dessous des seuils ».
On constate ainsi sur le tableau ci-dessous (données 2006) un nombre beaucoup plus important d’entreprises de 49 salariés (1 600) que de 50 salariés (600).
Répartition des entreprises françaises autour des seuils.
A partir de ces données, un « lissage » des seuils sociaux aurait un effet « significatif », la probabilité qu’une entreprise de 9 salariés passe à 10 augmentant de 5 points, qu’une de 19 passe à 20 de 9 points et qu’une de 49 passe à 50 de 14 points.
Dans ce cas, la réforme des seuils sociaux aurait bien un impact positif sur l’emploi – sans que l’Insee ne le quantifie dans son étude.
Toutefois, l’institut de la statistique juge plus précises les données issues de l’Union de recouvrement des cotisations pour la Sécurité sociale et les allocations familiales (Urssaf), qui propose « un recensement individuel exhaustif de chacun des salariés rémunérés par l’entreprise et de leurs périodes d’emploi ».
A partir de ces données-là, et contrairement aux données fiscales, l’Insee n’observe pas d’effet de seuil et estime que « les probabilités de croissance des effectifs sont tout à fait comparables de part et d’autre des trois seuils de 10, 20 et 50 salariés ». L’institut conclut ainsi que la suppression des seuils sociaux n’aurait qu’un effet modéré en la matière.
Cet article du Monde est un peu complexe, avec les calculs de l’INSEE pour deux mesures proposées par le MEDEF. La dépèche AFP ci dessous présente les propositions du MEDEF
Le Medef propose de supprimer des jours fériés et de pouvoir déroger à la durée légale du travail ou au salaire minimum, dans son projet visant à créer un million d’emplois en France, dévoilé dimanche par Les Echos.
Le document d’une cinquantaine de pages produit par l’organisation patronale, intitulé «Comment relancer la dynamique de création d’emplois en France?», liste une série de mesures qu’elle juge nécessaire de mettre en oeuvre pour stimuler l’emploi dans le pays.
«Chaque mesure, qu’elle soit d’ordre social, fiscal et parfois très sectorielle, est quantifiée en termes de créations d’emplois attendues», précise le journal économique Les Echos sur son site internet.
Le document doit être présenté mercredi au cours d’une conférence de presse.
Dans une réaction à l’AFP, un porte-parole du Medef a toutefois tenu à préciser qu’il s’agissait d’«éléments de travail» qui «ne correspondent pas exactement aux propositions que fera le Medef dans les prochains jours».
Pour créer 1% de croissance et 100.000 emplois, le Medef propose de supprimer deux jours fériés sur 11, selon Les Echos.
Il espère aussi de 50.000 à 100.000 emplois sur cinq ans en dérogeant au Smic pour certaines catégories de demandeurs d’emploi, et sur trois ans en remontant les seuils sociaux.
Autoriser les commerces à ouvrir le soir et le dimanche permettrait par ailleurs d’engendrer à terme entre 50.000 et 200.000 emplois nouveaux dans le tourisme, et entre 40.000 et 100.000 dans le commerce et la distribution, estime-t-il.
Ces propositions «apparaîtront certainement agressives ou caricaturales à certains », reconnaît le Medef en conclusion de son document, cité par le quotidien.
«Ils ont tort. Il s’agit avant tout d’animer un débat (…) Notre conviction est que nous n’avons pas +tout essayé contre le chômage+, nous avons juste essayé ce qui n’a marché nulle part et oublié ce qui a fonctionné partout .»
AFP
Ce que l’on peut conclure de ces “pistes de travail” c’est que le MEDEF pratique du lobbying pour transformer le marché du travail, le libéraliser.
Toutes ces mesures ne tiennent pas compte de la situation des travailleurs. Ce sont des “allègements” du droit du travail, qui consistent à faire travailler les gens plus longtemps dans la semaine (dérogation aux 35 heures), dans l’année (suppressions des jours fériés) et limiter les droits (en reculant les seuil sociaux).
Ce qui est sous entendu, c’est que davantage de liberté pour les entreprises les inciteraient à embaucher. Sans contrainte pour les entreprises, le chômage n’existerait pas !
Et pourtant, les travailleurs doivent être productifs (travailler davantage ne rend pas plus productif), ce sont aussi des consommateurs (réduire leur rémunération ou la limiter ne leur permettra pas de consommer). Une simple réflexion de bon sens montre que ces mesures sont très loin de garantir un succès aux entreprises.
Enfin, il faut noter que l’allègement des charges de 50 milliards ne permettra peut être même pas de créer le million ’emplois attendus par le gouvernement, rien ne garantit qu’en déréglementant le marché du travail, les entreprises embaucheront.
L’économie de l’offre connait certaines limites que le MEDEF ne semble pas maîtriser.
Shukuru